Zooms

L’IA, un pari coûteux pour les entreprises… et périlleux

Tribune d'expert / 25 novembre 2025

Derrière ses promesses d’automatisation et de gains de productivité, l’IA générative implique des investissements financiers considérables. Pour les éditeurs de veille comme pour l’ensemble des entreprises, l’IA devient un levier stratégique… et aussi un facteur de risque.

Dans le secteur de la veille comme dans d’autres, la transition vers l’intelligence artificielle générative ne relève pas d’un simple projet technique. Elle engage au contraire un changement de paradigme profond, tant sur le plan technologique que financier. Le saut technologique à effectuer comporte un coût d’entrée élevé. Contrairement à l’image parfois véhiculée d’outils accessibles à tous, les solutions professionnelles réellement performantes – embarquant des modèles linguistiques puissants, des moteurs de recherche sémantique avancés, des mécanismes de personnalisation sécurisée – nécessitent des investissements massifs.

Jusqu’à 25% du chiffre d’affaires pour investir dans l’IA

Infrastructure serveurs, licences logicielles, cybersécurité, conformité réglementaire, formation des équipes, intégration aux systèmes métiers existants : les postes de dépense sont multiples. Certaines organisations ayant franchi le pas évoquent des montants atteignant jusqu’à 25 % de leur chiffre d’affaires annuel pour amorcer un projet IA d’envergure. Chez les grands groupes, hors champ de la veille, les chiffres explosent : plusieurs millions d’euros par an sont engagés pour déployer et maintenir les outils à l’échelle.

Cette réalité, encore peu discutée dans les médias, mérite d’être mise en lumière. Car elle rebat les cartes de la compétitivité entre acteurs. Les entreprises qui disposent de ressources financières conséquentes peuvent accélérer leur mutation numérique ; les autres doivent arbitrer, différer, voire renoncer.

Un chantier stratégique risqué mais incontournable

Au-delà du seul investissement financier, le déploiement de l’IA générative transforme en profondeur l’organisation des entreprises. Il s’agit d’un chantier stratégique indispensable qui mobilise tout à la fois les directions générales, les responsables IT, les DRH, les juristes, mettant à l’épreuve l’intelligence collective des équipes de direction. Et pour cause : à travers l’introduction de l’IA, c’est souvent toute la chaîne de production de l’information, de l’analyse, voire de la décision, qui est réorganisée.

Cette transformation se révèle périlleuse à plus d’un titre. D’abord parce qu’elle exige des compétences rares, parfois difficiles à recruter ou à mobiliser en interne. Ensuite, parce qu’elle suppose une gouvernance claire : qui pilote l’IA dans l’entreprise ? Quels usages sont autorisés ? Quelles données peuvent être utilisées pour l’entraînement ou la génération automatique ? Enfin, parce que le retour sur investissement n’est pas toujours immédiat : plusieurs mois, voire plusieurs années peuvent s’écouler avant que les bénéfices soient réellement visibles, dans un contexte économique mondial et national fragile.

Afin de relever le défi, certaines entreprises – PME, ETI… – choisissent de s’adosser à des start-ups spécialisées. D’autres – les grands groupes – investissent directement dans le développement de solutions internes. Mais toutes les organisations, y-compris dans le secteur de la veille stratégique, doivent composer avec une exigence commune : opérer une mutation profonde tout en continuant à délivrer leurs performances opérationnelles.

L’IA, un changement organisationnel plus qu’un simple outil

C’est là le cœur du sujet : le passage à l’IA n’est pas seulement une évolution technique : c’est un enjeu de transformation organisationnelle. Intégrer l’intelligence artificielle amène à repenser les compétences, les missions, les outils, les interactions humaines. Cela suppose aussi d’accompagner les collaborateurs, de lever les résistances, de préserver l’éthique et la souveraineté des données. Les entreprises qui réussissent cette transition sont celles qui envisagent l’IA non pas comme une fin, mais comme un levier d’intelligence augmentée, au service de l’humain. Cela implique d’investir non seulement dans les technologies, mais aussi dans la formation, le management, l’accompagnement au changement.

Dans le secteur de la veille stratégique, l’IA générative ouvre des perspectives inédites. Mais ne nous cachons pas derrière notre petit doigt : elle a aussi un prix – un prix budgétaire, organisationnel, humain. Pour les entreprises, le véritable défi ne réside pas seulement dans l’acquisition d’outils existants, mais dans leur capacité à se réinventer intelligemment grâce à ces outils véritablement performants. L’IA, plus qu’un outil, opère ici comme un révélateur : elle distingue les organisations qui savent investir avec méthode dans la transformation durable de celles qui s’illusionnent sur une solution miracle, produite à la va-vite.

Dans cette course, il ne s’agit donc pas simplement d’aller vite, mais de savoir où aller, pourquoi, et avec quels partenaires…

Par Arnaud Marquant, directeur des opérations KB Crawl SAS