Sommes-nous tous des serial-consommateurs ?
À première vue, la consommation semble anodine. Acheter, posséder, jeter... Ces gestes du quotidien semblent presque mécaniques. Mais en les analysant avec un œil différent, en les poussant à leurs extrêmes, ils révèlent des schémas de comportement plus complexes. Ces comportements extrêmes peuvent se lire à travers une grille d'analyse issue d'une autre discipline : la criminologie.
Les profiler criminels cherchent à comprendre les raisons des actes déviants, non seulement à travers le comportement, mais aussi par une analyse psychologique approfondie. De la même manière, les planneurs stratégiques cherchent à comprendre les motivations profondes des consommateurs, en analysant ce qu'ils disent et ce qu'ils font, mais aussi ce qu’ils ne disent pas ou ne font pas.
Ces typologies de serial consommateurs offrent ainsi un cadre d’analyse précieux pour mieux cerner les comportements d’achat et orienter les stratégies de communication.
L'Accumulateur compulsif : La quête désespérée de réconfort à travers l’achat
Dans le contexte de consommation moderne, certains individus sont incapables de résister à l’envie d’acheter. Pris dans un cycle sans fin, l'accumulateur compulsif « se tourne vers l'achat pour apaiser un malaise intérieur », qu’il s’agisse d’anxiété, de solitude ou d’un vide émotionnel. Cet individu n’achète pas par besoin, mais par pulsion incontrôlable, motivé par une force qu’il ne comprend pas toujours lui-même.
Le parallèle avec le criminel est ici évident. Certains criminels sont poussés par une forme d’addiction comportementale. Leur désir de posséder ou d’accomplir des actes précis devient une obsession qui les dévore de l'intérieur. Leurs actions répétées ne sont pas uniquement motivées par l'envie de réussir, mais par une incapacité à s’arrêter, même quand il devient évident que cela leur échappe. Ils accumulent les preuves ou les objets liés à leurs actes, non par plaisir, mais par besoin de combler un vide qu'ils ne parviennent jamais à remplir.
Chez l’accumulateur compulsif, cela se manifeste dans l'entassement de biens inutilisés. Les placards sont remplis de vêtements jamais portés, les cartons débordent de gadgets encore emballés. L’accumulation devient un fardeau, une tentative désespérée de combler un vide intérieur, mais chaque nouvel achat ne fait qu’aggraver l’insatisfaction. Comme le criminel, l'accumulateur ne peut s'empêcher d'acheter, même si cela ne mène jamais à une satisfaction durable.
Le Préméditateur : La planification obsessionnelle comme quête de contrôle
Certains consommateurs ne laissent rien au hasard. Chaque achat est planifié avec soin, attendu, anticipé. La consommation, est soumise à une stratégie préméditée, une quête de perfection dans le timing, l’analyse et l’exécution.
Certains criminels méthodiques planifient leurs actes avec une minutie extrême. Rien n'est laissé au hasard, chaque détail est soigneusement calculé. Le plaisir réside dans l’acte, mais aussi dans la préparation. La précision obsessionnelle de la planification devient un moyen de se sentir en contrôle et en pouvoir, où la moindre erreur est évitée par une organisation rigoureuse. Tout est planifié dans les moindres détails : l’endroit, l’outil, le moment parfait.
Chez le consommateur préméditateur, la recherche devient un objectif en soi. Il surveille les tendances, analyse les cycles de prix, attend la promotion idéale. Chaque aspect de l'achat est soigneusement calculé, et l'attente ainsi que la découverte de la bonne affaire devient presque plus excitante que l'acquisition elle-même. Le processus de planification prend le dessus sur l'achat, et une fois celui-ci réalisé, l'excitation retombe rapidement, remplacée par le besoin de planifier à nouveau.
Le Manipulateur social : L’achat comme outil de reconnaissance et de validation
Certains consommateurs achètent pour projeter une image aux autres, cherchant à être perçus d'une certaine manière. L’objectif n’est pas la satisfaction personnelle, mais la reconnaissance sociale. Ces individus consomment non pas pour satisfaire un besoin interne, mais pour prouver leur appartenance à un certain groupe social. Ils recherchent constamment à se conformer à des codes spécifiques pour être validés.
Il existe un type de criminel qui agit non pas pour un gain personnel ou matériel, mais pour entrer dans l’histoire, être vu, et être reconnu. Leur but ultime est de marquer les esprits, de laisser une trace. Chaque acte est une performance orchestrée pour déclencher une réaction chez les autres : la crainte, l'admiration, ou la fascination. Ce type de criminel ne se soucie pas de la nature de son acte, mais de l’effet qu'il produit. Il sacrifie tout pour obtenir cette reconnaissance.
Le parallèle avec le consommateur manipulateur social est évident. L'achat devient un acte de "badging", un moyen d'obtenir des marques de validation sociale. Ce n'est pas l'objet en lui-même qui importe, mais ce qu'il représente aux yeux des autres. L'individu est prêt à s’endetter pour acheter des articles de luxe, pour prouver son appartenance à une certaine élite ou pour afficher son statut social.
Nous avons tous, dans une certaine mesure, des traits de ces typologies extrêmes en nous. Il est important de rappeler que ces comportements ne sont pas nécessairement des déviances, mais des indicateurs de notre rapport complexe à la consommation. Ils nous aident à mieux comprendre pourquoi nous achetons et comment nous naviguons entre nos désirs, nos pulsions et nos valeurs.
Comprendre ces schémas, même dans leurs formes les plus poussées, permet aux planneurs stratégiques d'anticiper les besoins des consommateurs tout en évitant de renforcer des comportements problématiques. Ces typologies extrêmes servent de miroir à des tendances plus modérées qui existent en chacun de nous, et en prenant conscience de ces dynamiques, nous pouvons construire des stratégies et des actions plus humaines, plus équilibrées et plus respectueuses des aspirations profondes de chacun.
Par Carla Dugand, planneuse stratégique chez GloryParis