RGPD, personnalisation du shopping et respect de la vie privée : l’irréconciliable triangle des Bermudes ?
Le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) permet d’éviter les dérives en matière d’utilisation des données personnelles des individus. En termes de marketing, il implique des enjeux sont de taille à l’heure où les consommateurs sont précisément en attente d’expériences toujours plus personnalisées. Y-a-t’il un hiatus entre cette évolution de la règlementation et les tendances de fond du marketing et du shopping ? Par Pierre Dunoyer De Segonzac, Country Manager France chez Emarsys.
3 ans après : quelles évolutions au sein des entreprises ?
Lors de son entrée en vigueur le 25 mai 2018, le RGPD a suscité beaucoup de discussions. Mais l’évolution juridique ne s’est pas encore complètement traduite dans les faits. En 2020, une étude de Data Privacy Manager indiquait que seuls 59 % des individus estimaient qu’ils travaillaient au sein d’organisations respectant les obligations du RGPD. A l’heure actuelle, parmi les grands noms sanctionnés par les instances françaises, on retrouve Carrefour, H&M, Google ou encore Amazon.
Inversement, des entreprises les plus soucieuses de la loi se sont parfois bridées et certaines sont devenues très frileuses dès qu’il s’agit des données, se privant parfois d’opportunités et se mettant en danger vis-à-vis de leurs concurrents. Faute de comprendre les subtilités du monde selon le RGPD, elles peuvent s’autocensurer et négliger l’amélioration de leurs relations avec les clients.
Une expérience client à la hauteur de l’ère actuelle requiert de la personnalisation et donc mécaniquement l’exploitation de données pour comprendre les clients avec finesse. Ceci vient soutenir l’économie de l’expérience qui va continuer de s’affirmer même si d’un côté les jeunes générations sont préoccupées par le respect de leur vie privée et l’autre, ils disent vouloir sanctionner les marques leur envoyant des offres généralistes en cessant de s’intéresser à leurs offres. Que penser de ce paradoxe ?
Personnalisation et RGPD : trouver le juste milieu
Comment, concrètement, créer une expérience de qualité et contextualisée à l’heure du RGPD ? La question a préoccupé l’institut Gartner, qui, en 2019, estimait qu’à l’horizon 2025, 80 % des responsables marketing cesseraient leurs efforts de personnalisation, faute de retour sur investissement suffisant et en raison des obstacles règlementaires.
Cette dualité entre vie privée et personnalisation peut créer des dissensions au niveau des entreprises, notamment entre les services juridiques et ceux de la relation client. Or, pour bien fonctionner, c’est bien la symbiose entre départements d’entreprise qu’il faut encourager.
Données : de quoi parle-t-on ?
Mais revenons sur le cœur du sujet, la donnée. En effet, dans le contexte d’un paysage marqué non seulement par le RGPD, mais aussi par la fin des cookies tiers pour la fin 2023 sur le navigateur Chrome, rejoignant ainsi Firefox et Safari, il faut faire la distinction entre ce qui va cesser et ce qui sera toujours de mise.
Certes, l’ère de la circulation sans entrave des informations prend fin, mais ce n’est pas pour autant la fin des données de consommateurs. D’autres types de données peuvent être utilisées : ce sont les first party data, collectées directement par une entreprise lors d’une transaction avec sa clientèle : elles sont donc collectées via le CRM de l’entreprise, les abonnements…
Et il existe également un autre terme, les zero-party data, que les consommateurs acceptent de partager, d’eux-mêmes, avec une organisation, et ce sont généralement les plus fournies. Elles sont obtenues via des études, sondages… et sont particulièrement utiles pour construire des campagnes ou penser de nouvelles offres.
La donnée a donc de multiples visages et elle peut être collectée de manières variées. Ce qu’il faut retenir désormais, c’est que l’usage adéquat de la donnée est compatible avec la vie privée.
Protection des données et personnalisation peuvent aller de pair
La clef du paradoxe dont nous parlons réside dans le fait d’instaurer une relation d’égal à égal entre le consommateur et la marque. Ce premier doit comprendre que le partage de données fait partie d’une relation qui ne va pas à sens unique. Lui aussi peut y gagner dans le partage de ses informations, c’est un échange donnant-donnant.
Dans cette optique, il faut préciser avec transparence comment la donnée sera utilisée et par qui. C’est l’opacité qui fait le lit de la méfiance et de la frilosité. C’est pourquoi les entreprises doivent veiller au traitement éthique des données en interne mais aussi en externe.
Jusqu’ici les marques ont majoritairement adopté une approche que l’on peut qualifier de paperassière : elles se sont concentrées sur le fait d’inclure des clauses juridiques et de veiller à ce que leurs sous-traitants eux aussi respectent la loi. Mais il faut passer à une approche plus proactive.
Ceci passera par le fait de convaincre les équipes des bienfaits d’une gestion pertinente des données et de la valeur que ceci apporte. Il faut illustrer ce propos au moyen de cas pratiques concrets, pour faciliter la bonne compréhension de cet enjeu. Car, faire les choses convenablement devient aussi un enjeu réputationnel. En cas de dérapage, le bouche-à-oreille en ligne ou hors-ligne se propage rapidement. Et aujourd’hui la confiance qu’un client peut avoir en une marque fait complètement partie de l’expérience d’achat qu’il demande.