L’engouement autour de la coupe du monde féminine de football : un fait de société plus qu’un phénomène médiatique
L’engouement autour de la Coupe du Monde féminine de football a même surpris TF1 ! Le groupe privé, qui diffuse les matchs de l’équipe de France, a ajusté à la hausse ses tarifs publicitaires entre le premier et le deuxième match des Bleues. A la clé, une augmentation de l’ordre de plus de 50%. Il faut dire que les Français étaient plus de 10 millions devant leur poste de télévision, soit 44,3% de part d’audience, pour suivre le match d’ouverture de l’équipe de France et sa victoire contre la Corée du Sud (4-0). Une audience à faire pâlir d’envie les Bleus dans leur campagne pour la qualification au prochain Euro !
Si la visibilité du football féminin en France est croissante depuis quelques années, dans le sillage des bons résultats de l’équipe de France depuis 2011 et de l’Olympique Lyonnais, six fois vainqueur de la Ligue des Champions féminine, dont 4 titres consécutifs, la tenue de la Coupe du Monde en France semble marquer plus qu’un palier supplémentaire, une véritable transformation. Jamais dans l’histoire, le football joué par des femmes n’avait connu pareille exposition médiatique ni un tel engouement dans le grand public.
Des médias qui mobilisent l’opinion
C’est la première fois que les médias font le pari de diffuser largement des contenus relatifs au football féminin, avec des choix éditoriaux forts et des dispositifs qui se rapprochent de ceux traditionnellement mis en œuvre autour de l’équipe de France masculine à l’occasion des grandes compétitions.
Ainsi, TF1 et Canal+, diffuseurs de l’événement en France, ont préparé le terrain plusieurs semaines à l’avance, à grands renforts de reportages, magazines ou éditions spéciales, et ont mobilisé leurs commentateurs stars (Bixente Lizarazu et Grégoire Margotton, dans le cas de TF1) pour faire vibrer les Français aux exploits des Bleues. Les autres chaînes, notamment celles d’information continue, ne sont pas en reste. L’Équipe consacre pour sa part quotidiennement plusieurs pages aux rencontres du jour et Le Monde a publié, comme pour leurs homologues masculins, un cahier spécial de 8 pages le jour du match d’ouverture. Il assure depuis une couverture journalière de l’événement. Encore plus extraordinaire, le quotidien du soir daté du 19 juin titrait son éditorial d’une affirmation que personne n’aurait pu croire possible il y a encore quelques jours : « Les femmes sont l’avenir du football » !
Les annonceurs ne sont pas en reste : Nike, habitué aux films à gros budget aux abords des grandes compétitions internationales, a cette fois réuni certaines des plus grandes stars du football féminin, en mettant justement en scène ce changement de dimension. D’autres marques, que l’on attendait peut-être moins, investissent également sur la compétition, comme Orange, qui donne un coup de projecteur sur les personnalités qui composent l’équipe de France, ou le Crédit Agricole, qui incite les jeunes filles à poursuivre leur rêve. TF1 a même diffusé un film événementiel rassemblant 7 annonceurs dans un même spot, sous la bannière : « Tou(te)s derrière les Bleues ! »
L’accueil de l’événement sur le territoire français et l’espoir de voir les femmes soulever la Coupe contribuent pour une part significative à l’engouement collectif qui a saisi l’hexagone. Les trois critères de l’intérêt médiatique pour une compétition sportive sont pleinement réunis : un « drapeau », bleu-blanc-rouge en l’occurrence, un « enjeu », la Coupe du monde, un « suspense », les Bleues peuvent gagner mais c’est loin d’être certain. Mais cela n’explique pas tout.
Un engouement qui va au-delà de la compétition sportive
Si cette mise en lumière du football féminin est incontestable, l’engouement qu’il suscite signifie plus que la réussite d’une compétition sportive. A l’évidence, si les médias et les marques font un tel battage, c’est que l’événement a un écho réel et profond dans le public. Celui-ci est le reflet d’une société qui change rapidement sur le sujet de l’égalité entre les hommes et les femmes, et où il n’est plus acceptable de laisser subsister des stéréotypes de genre et des préjugés sexistes.
C’est en ce sens que l’on peut dire que c’est le versant positif du phénomène #MeToo. Si les phénomènes #MeToo et #BalanceTonPorc avaient pour but de dénoncer les comportements scandaleux de certains hommes, les événements comme la Coupe du Monde féminine permettent de jeter une lumière positive sur les combats pour l’égalité entre les hommes et les femmes.
Le traitement médiatique est en effet plus respectueux : il n’est aujourd’hui – fort heureusement – plus acceptable de rire des performances des équipes féminines ou de certaines joueuses, comme le consultant Pierre Ménès en a fait l’amère expérience début 2019. Le football féminin devient pleinement un phénomène médiatique en soi et non plus simplement une source de comparaison avec celui des hommes ou, pire, un sujet de moquerie.
Mais le chemin à parcourir reste long avant de parvenir à une véritable égalité. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler que si la Fédération Française de football s’est engagée à verser 40 000 € à chaque joueuse, en cas de victoire en finale, leurs collègues masculins ont chacun reçu 400 0000 € après leur succès de Moscou.
Contrairement au volley, au basket-ball ou au handball, et comme le rugby, le football est une conquête récente pour les joueuses qui souhaitent pratiquer ce sport longtemps étiqueté « masculin ». Pour certains, le simple fait d’utiliser l’expression « football féminin » montre d’ailleurs que l’égalité n’est pas encore totale. En soi, le football féminin n’existe pas, c’est la Coupe du monde qui est féminine. En qualifiant un sport qui n’a pas besoin d’être qualifié, c’est encore un point de vue exclusivement masculin qui est mis en avant.
Capitaliser sur cet engouement
A l’occasion de cette Coupe du Monde, un lien fort s’est tissé entre les joueuses et l’ensemble des Français. Il faut désormais l’entretenir dans la durée, bien au-delà de cet événement, notamment auprès des jeunes. La dynamique enclenchée par la Coupe du Monde doit permettre un changement durable des comportements à toutes les échelles, de la cour de récréation au plus haut niveau. Or, à l’heure actuelle, les filles ne représentent en France que 7% des licenciés à la FFF ; au niveau professionnel, des disparités abyssales subsistent, on l’a vu. Cette Coupe du monde ne sera en définitive pleinement réussie que si elle incite des milliers de jeunes filles à se lancer dans la pratique du football, comme d’autres sports, sans a priori, en suivant les traces des pionnières qui ont su faire bouger les lignes.
Par Eric Giuily, président du cabinet de conseil en stratégie de communication Clai