Des émoticônes dans la relation client ? Vous n’y pensez pas !
Faut-il utiliser des émoticônes – ou des emojis, pour ceux qui préfèrent le terme japonais – dans les communications textuelles avec les clients ? Ce n’est pas exactement le sujet qui préoccupe le plus les directeurs de la relation client et les managers de centres de contact ; pourtant, la question se pose et, dans un monde où la communication textuelle – par e-mail, chat, sms ou messagerie instantanée – a explosé, elle n’est pas si anodine… Par Frédéric Durand, Fondateur et CEO de Diabolocom.
Un langage universel des émotions ?
Rien n’est moins sûr ! Au tout début, dans les années 1980, les émoticônes étaient plutôt réservés à la toute petite poignée d’initiés ayant alors accès à des ordinateurs. L’informaticien Scott Fahllman a eu l’idée en 1982 d’utiliser des combinaisons de signes typographiques pour représenter les principales émotions humaines et « réchauffer » les échanges textuels dans un environnement qui était fort peu convivial 🙂 😉 🙁 Ces idéogrammes d’un nouveau type permettaient d’indiquer, préciser ou souligner le sens dans lequel devaient être pris les propos ou la tonalité générale du message.
Cependant, tout le monde est loin de voir que ces agencements de signes représentent des expressions humaines, pour peu qu’on les regarde à 90°. D’ailleurs, les émojis typographiques japonais n’utilisent pas du tout les mêmes combinaisons de signes que celles auxquelles les occidentaux sont habitués et quand on les voit pour la première fois, leur signification ne saute pas non plus aux yeux : (^_^) (= rire) ; (>_<) (être ennuyé).
Quand les ordinateurs se sont démocratisés, et par la magie du transcodage, les signes typographiques se sont mués automatiquement en petits visages expressifs. C’est à ce moment-là que tout le monde a pris l’habitude de les appeler « smiley », même quand ils sont tristes – au grand dam des puristes pour qui il n’existe qu’un seul vrai Smiley : jaune et souriant, tel qu’il a été dessiné en 1953.
Quel que soit le nom qu’on leur donne, ces petits visages iconiques ont commencé à ponctuer les e-mails personnels au cours des années 1990. Au fil du temps, ils ont pris des couleurs, se sont animés et diversifiés pour couvrir une plus large palette d’émotions et de sentiments.
Mais c’est avec l’adoption massive des smartphones, à partir de 2011, que l’utilisation des émoticônes explose réellement, pour une raison très simple : tous les smartphones embarquent des bibliothèques d’émoticônes, ce qui les rend très faciles à intégrer dans les messages textuels, e-mails, messages instantanés ou sms – pour remplacer une phrase, nuancer un propos, éviter d’écrire en toutes lettres, etc.
Un langage à la fois régressif et hégémonique ?
Évidemment, ce mode de communication n’est pas du goût de tout le monde. Certains contempteurs y voient une pratique régressive et/ou infantilisante, empêchant les plus jeunes d’étendre leur champ lexical et de développer une pensée construite et des raisonnements abstraits. D’autres (et pas qu’en France !) y voient, après le langage sms, une atteinte de plus à la maîtrise de la langue écrite. On peut leur objecter que les smartphones ont à peu près éradiqué le langage sms et que, si les émoticônes ont tant de succès, c’est peut-être simplement parce qu’elles permettent d’exprimer quelque chose de plus que les mots, du « non verbal » précisément.
D’autres encore dénoncent la mainmise de l’Unicode Consortium sur la validation des émoticônes (1791 à ce jour) et l’accusent, entre autres, d’entretenir des stéréotypes culturels et de genre. Pas moyen cependant de se passer de cet organisme qui standardise les spécifications typographiques des émoticônes, ce qui leur permet d’être reconnues et affichées à l’écran quel que soit le système d’exploitation utilisé.
Enfin, beaucoup s’interrogent sur le caractère prétendument universel des émoticônes et les risques de mauvaise interprétation de leur signification. Certes le sens est spécifié dans les tables de l’Unicode Consortium, mais peut-on affirmer que le monde entier associe mensonge et Pinocchio ou un visage verdâtre à l’idée nausée ? C’est en effet très discutable…
Un langage qui n’est plus réservé à la sphère privée
Tant que l’utilisation des émoticônes était cantonnée aux échanges privés, rien de ce qui précède ne prêtait vraiment à conséquence. Les choses ont un peu changé depuis qu’elles ont fait irruption sur les réseaux sociaux, un prolongement assez logique dans la mesure où les socionautes sont aussi largement mobinautes. Sur Twitter, certains se font une spécialité de rédiger de véritables rébus dont la marge d’interprétation est passablement problématique…
Mais la plupart du temps, les émoticônes viennent simplement compléter les mots, ajouter une note d’humeur ou désambiguïser un message dont l’ironie pourrait ne pas être perçue.
Les marques s’y sont mises elles aussi. Aux Etats-Unis, Domino’s Pizza permet aux consommateurs de passer commande depuis Twitter avec un émoji. De même, l’éditeur de logiciels Salesforce annonçait fièrement en 2015 que 2% de ses e-mails B2C contiennent un émoji dans l’objet pour mieux attirer l’attention… Cela paraît un peu basique, mais il se trouve que ça marche – à condition de ne pas en abuser…
Parler le même langage que ses clients
Si on part du principe que les marques veulent se rapprocher des consommateurs, il paraît logique qu’elles utilisent le même langage, les mêmes codes, qu’eux – alors pourquoi pas des émoticônes ?
Tout dépend de la personnalité de la marque, du canal de communication et de la nature de l’échange. Dans les relations communautaires, sur Instagram, Facebook et Twitter, elles sont de plus en plus utilisées par les community managers parce qu’elles attirent l’œil, créent la complicité et favorisent l’engagement.
C’est moins évident et beaucoup plus délicat dans les échanges relevant du service client, en particulier les réclamations. Un client très mécontent ou agacé n’appréciera pas forcément de voir apparaître un smiley lui faisant un clin d’œil à la fin d’un e-mail…
Le meilleur moyen d’éviter les faux pas est tout simplement de se caler sur la tonalité et le style de la demande du client : s’il est en colère et le souligne par un émoticône, rien n’empêche d’en utiliser dans la réponse, en évitant toutefois celles qui peuvent être mal interprétées. Si le problème est résolu et que le client remercie par un émoticône montrant qu’il est ravi ? Faire de même !