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Regard de l’agence Clai sur la communication du gouvernement sur le coronavirus

Tribune d'expert / 12 mars 2020

Les conférences de presse du directeur général de la Santé (DGS), Jérôme Salomon, sont en passe de devenir à l’épidémie de Covid-19, ce que celles du procureur François Molins étaient pour la lutte contre le terrorisme : un rendez-vous journalier à heure fixe, retransmis par l’ensemble des chaînes d’information continue, qui permet de suivre « l’inexorable » progression de la contagion. Mais si l’omniprésence du procureur répondait à une règle constitutionnelle, l’indépendance de l’autorité judiciaire, celle du DGS est le fruit d’une stratégie de communication voulue par le gouvernement. Celui-ci s’efforce de montrer qu’il maîtrise la situation et prend les mesures nécessaires mais, en même temps, s’en remet largement aux scientifiques pour la détermination de celles-ci et pour leur explication au quotidien. Un partage des responsabilités qui ne convainc pas totalement les Français puisque mercredi dernier, si 65% d’entre eux se sentaient bien informés, ils étaient 58% à estimer que la crise était mal gérée par le gouvernement[1] !

Le choix d’une communication en partie déléguée aux experts médicaux et incarnée par un M. Coronavirus…

L’épidémie de coronavirus a bouleversé l’hyper-communication habituelle du gouvernement d’Edouard Philippe en situation de crise. Celui-ci semble avoir tiré les leçons des difficultés rencontrées lors de l’incendie de Lubrizol à Rouen où entre déplacements du Premier Ministre, visites des ministres, conférences de presse du Préfet et communiqués de l’Agence Régionale de Santé, il a échoué à rassurer les habitants de Rouen voire a amplifié, par son activisme un peu brouillon, la crise… Cette fois, le gouvernement a fait le choix de se retrancher au moins en partie derrière les experts médicaux : un choix stratégique judicieux lorsque l’on sait que les membres du corps médical font partie des professionnels auxquelles les Français font le plus confiance alors que les responsables politiques nationaux[2] arrivent en dernière place.

Comme on l’a vu, le gouvernement mise notamment sur Jérôme Salomon, Professeur des Universités et patricien hospitalier en maladie infectieuses et tropicales à l’hôpital universitaire de l’AP-HP Raymond Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine). Il est devenu le visage et la voix de la lutte contre le coronavirus. Calme et serein, Jérôme Salomon est l’expert auquel tout un chacun a envie de faire confiance et dont la parole ne peut être remise en cause. La réunion mardi dernier d’une trentaine de scientifiques autour d’Emmanuel Macron allait dans le même sens : montrer que le pouvoir politique s’appuie sur les experts pour évaluer la gravité de la maladie et définir les mesures à prendre.

Cela n’empêche pas le Président de la République, le Premier ministre et le ministre de la santé d’affirmer leur présence et leur détermination par des visites de terrain, des déclarations dans les médias et surtout la mise en scène de réunions gouvernementales autour d’Edouard Philippe et même de « conseils de défense » à l’Elysée. Avec un double objectif : « rassurer et protéger » et pour cela montrer que le gouvernement remplit le rôle qui est le sien, organiser la lutte contre la contagion. Mais pendant ce temps-là, c’est Jérôme Salomon qui égrène quotidiennement les chiffres de l’épidémie.

… qui ne suffit pas toujours à faire la pédagogie d’une stratégie sanitaire en constante évolution

Si les gestes-barrières habituels dans de telles situations – se saluer à distance, se laver les mains à l’eau et au savon pendant 30 secondes ou avec une solution hydroalcoolique, éternuer dans son coude, se couvrir la bouche et le nez en cas d’éternuement – ont bien été entendus et accueillis par la population, d’autres mesures ont été moins bien comprises.

Il est vrai que certaines d’entre elles, comme la suppression du confinement des personnes entrant sur le territoire national en provenance de pays affectés, lors du passage au stade 2, sont parfois difficiles à expliquer parce que contre-intuitives. Ce passage décidé tardivement en soirée et appliqué sans préavis le lendemain matin a conduit à des situations paradoxales qui ont été largement relayées par les médias et ont servi de base à une mise en cause de la stratégie gouvernementale. Comment expliquer qu’un marché forain soit brutalement fermé par la gendarmerie après 2h30 de fonctionnement alors que la grande surface située en face reste ouverte ? Pourquoi autoriser les supporters italiens à assister au match Lyon-Juventus de Turin et interdire des manifestations culturelles ou compétitions locales ? Au risque d’alimenter des polémiques plus ou moins populistes.

La manière dont le gouvernement prépare l’opinion au passage en stade 3 semble montrer qu’il a tiré les leçons des ratés du passage au stade 2. Sa porte-parole a dès dimanche dernier évoqué cette décision comme une éventualité ; vendredi, visitant un EHPAD, le Président a souligné le caractère inexorable de l’épidémie, « la phase 3 quand elle interviendra » a-t-il ajouté, poursuivant le travail d’instillation ; le ministre a expliqué en quoi consistait le stade 3. Aujourd’hui, le débat ne porte plus que sur le moment où il faudra imposer la mesure. Dans l’intervalle, les décisions spécifiques prises pour l’Oise et le Haut-Rhin permettent de préparer l’opinion à ce qui l’attend. De ce point de vue, l’annulation du match Strasbourg-PSG est un signe fort.

Avec le passage au stade 3, le gouvernement va devoir arbitrer entre mesures généralisées et application locale au cas par cas. Les premières peuvent sans doute être plus faciles à expliquer dans un premier temps mais plus difficiles à mettre en œuvre dans la durée. L’adaptation locale va être essentielle et le gouvernement devra s’appuyer sur ses échelons déconcentrés et sur les corps intermédiaires, notamment les élus locaux. Les élections municipales en cours ne sont pas de ce point de vue un facteur favorable et privent dans l’immédiat l’exécutif de ce relais essentiel en période de crise que sont les maires.

Malgré les quelques difficultés mentionnées ci-dessus, le gouvernement a jusqu’à présent globalement réussi sa communication. Mais entre ceux qui lui reprocheront toujours de ne pas en faire assez pour des raisons économiques et ceux qui souligneront qu’il en fait trop pour des raisons politiques, entre éviter de dramatiser, pour ne pas engendrer les phénomènes de psychose voire de panique que l’on a déjà constatés dans certains magasins, et prendre l’ensemble des mesures indispensables, sans arrêter totalement le pays et compromettre son redressement économique, l’exécutif est sur un chemin de crête très étroit. Qu’il s’appuie sur les experts médicaux, sur ses relais locaux ou sur les corps intermédiaires, il portera seul la responsabilité d’un éventuel échec.

Par l’agence Clai.

 

[1] « Les Français et le coronavirus » – Sondage ELABE/Berger-Levrault « Opinion en direct » pour BFMTV, 04/03/2020

[2] La confiance des français dans différents acteurs et personnalités, Harris Interactive pour le nouveau magazine littéraire, 24/10/2019

 

 

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